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Interview by Helena Stork, art historian and writer.
H.S. Dès 1992, de monumentales vos sculptures deviennent plutôt environnementales, à Bruxelles, Paris, Milan et Hyères.
V. Formidable aventure, sous l’impulsion de la famille Rancilio et du Groupe Palladium, qui me les ont “commandées”. Au mot commande, je préfère le mot “occasion de” car, à chaque fois, ce sont de nouveaux possibles artistiques qui s’ouvrent. J’ai ainsi pu y exprimer mes préoccupations par ces oeuvres qui s’intègrent dans de grandes entités immobilières, en un dialogue constant avec leurs habitants. Et puis, travailler avec des artisans de haut niveau en diverses disciplines est passionnant… je passais du travail en équipe à la solitude de l’atelier.
H.S. Nous pourrions évoquer les problématiques artistiques posées par vos sculptures, dont le thème récurrent de la lévitation dans vos oeuvres monumentales. Pourtant, votre exposition ici à la Villa Tamaris m’amène plutôt à vous poser des questions uniquement sur le volet pictural de votre oeuvre. Je connais l’amitié qui vous relie à certains grands peintres comme Valerio Adami et les rencontres qui ont ponctué votre parcours telles Andy Warhol.
V. On pourrait en citer d’autres, tels Pat Andrea, Alcaïs, Uwe Ommer, Hector Zazou trop tôt disparu, Guérin et Meynard, qui m’ont fait l’amabilité d’écrire quelques lignes sur ma peinture, mais aussi de grands regards de mes amis collectionneurs et grands amateurs d’art. Lorsque je peins, un dialogue mental se noue avec ces complices et de façon générale avec les peintres. Quoi de plus stimulant que de savoir que certains gestes plus sophistiqués seront compris, là où un jeu mental se tisse.
H.S. Je vous sais absorbé par la recherche d’un nouvel espace en peinture. J’ai eu l’occasion d’observer votre façon de travailler. Vous avancez en un cheminement élaboré.
V. J’ai toujours senti que le processus même de la création d’une oeuvre participait d’une articulation érotique, de sa préparation à sa réalisation.
Muni de ces téléphones qui incorporent maintenant chacun un appareil photo – j’aime cette idée de légèreté hors de cette dramatisation qu’impliquait le déplacement avec un appareil sophistiqué – je prends ces photos qui composent ce que je nomme mon “carnet de notes”. Photographies parfois abouties, mais pas trop sinon pourquoi en tirer encore une peinture et, dans ma mémoire, souvenir du réel que, par la photo, j’interprète une première fois. Ce sont ces deux informations qui sont le socle de chaque nouvelle toile.
H.S. Les sujets sont variés, de la nourriture à un paysage traversé.
V. Une certaine idée de légèreté, qui s’apparente pour moi à une politesse de l’espoir…
H.S. Et d’élégance.
V. Les sujets semblent disparates mais rejoignent, toujours, in fine, la recherche du moment. Chaque tableau est pour moi une séquence de peinture, qui amène à une conclusion esthétique et/ou philosophique, point de départ d’un nouveau tableau.
J’aime cette façon d’avancer des scientifiques, qui, passant d’une question et d’un constat “simples”, pas à pas, aboutissent à des conclusions inouïes, telles, par exemple, la théorie des cordelettes.
H.S. On vous sait venu du monde de la performance et de l’installation. J’ai cru voir dans vos derniers tableaux des références à l’architecture, aux arbres et aux paysages de la Villa Tamaris.
V. Dans un jeu de mémoire et de relations à l’espace, j’ai intégré ces éléments en des tableaux, qui trouvent une pertinence particulière au sein de l’exposition, tout en préservant leur pleine existence lorsqu’exposés ailleurs. Il en va d’un feu lumineux, sur la route en bas de la Villa, feu qui, bien souvent ennuyeux en son réel, aura peut-être été regardé par les visiteurs. Et aussi : un arbre dans le jardin ou des éléments d’architecture dans les salles d’exposition, arcade ou colonnes.
H.S. Pastel et acrylique se croisent dans le dessin de vos espaces, en une écriture personnelle. Nous sommes pris par vos couleurs, charmés par le trait et, pourtant, en regardant plus avant vos toiles, le jeu sophistiqué de structures et de perspectives se dévoile. Le tout nappé de sensualité et de poésie. Au plaisir de regarder suit le challenge des références intellectuelles, alternant avec ces sensations qui nous replacent aux sources de la vie.
V. Lorsque vous regardez une fraise, vous pouvez en admirer forme et couleurs. La laisser face à vous et voilà qu’elle décrépit. Voilà bien ce qui a constitué l’enjeu des natures mortes – je préfère la dénomination “Still life” – dans l’histoire de l’art, peindre l’éphémère. Alors, y a-t-il à garder la fraise en l’état ou à la manger, la faisant disparaître. J’ai aimé dans certains tableaux évoquer le jeu de couleurs d’un aliment puis le goûter, mélangeant les deux sensations, comme point de départ.
Vient ensuite cette question de l’arrêt du geste, à quel moment neplus mettre de peinture, où s’arrête le dessin, voilà un propos qui me passionne. La peinture, c’est la pensée mise en matière. C’est là où la philosophie rejoint l’art.
H.S. Vous m’avez un jour décrit la peinture comme une relation sophistiquée au monde. Vos tableaux en seraient les ambassadeurs. Visiter votre atelier constitue à chaque fois une expérience étonnante. Nous reconnaissons incontestablement l’oeuvre comme un Varozza mais, simultanément, nous sommes à chaque fois surpris.
V. J’aime que le tableau me mène à un rivage inconnu.
Lorsque je sors de cette forte concentration du faire de la peinture et que je regarde la toile, je suis souvent moi-même étonné de l’apparition de certains éléments, en une révélation magique.
H.S. C’est à l’occasion de cette exposition qu’est née votre amitié avec feu Karl Geirlandt, grande figure de l’art contemporain en Belgique.
V. Karl avait un regard d’une très grande profondeur.
Nous nous sommes fréquentés assidûment pendant plusieurs années. Il m’a appris énormément de choses et m’aura permis de rencontrer avec lui bien des figures marquantes du monde des musées et des grandes galeries.
H.S. En 1981, vous inventez un jeu sur le milieu de l’art et son fonctionnement : “Art System”.
V. Cela m’aura permis, avec ironie, de formaliser ma relation avec le milieu de l’art, tout en prenant une saine distance avec lui. J’étais dès lors prêt à y vivre mon insertion en toute quiétude.
H.S. Parallèlement, vous abordez de nouvelles oeuvres, en cire cette fois, où images et matières se disputent l’espace.
V. De ces expérimentations est sortie, en 1982, une exposition où j’ai créé un environnement : les murs d’une salle entière était recouverts de cire sur lesquels des oeuvres en cire aussi était accrochées. Dans cette exposition, j’étais à la fois l’artiste et mon propre galeriste. Dans la foulée, dans les mêmes lieux, en octobre 1982, j’ai créé une galerie, “de visu spatio” en collaboration avec Françoise Baronian et le précieux soutien de feu Charles Loos. Je me souviens du diner après le premier vernissage de ma galerie où nous étions quatre: Albert et Françoise Baronian, et un jeune homme (moi-même, je n’avais que 26 ans) avec qui à la galerie, nous avions des discutions artistiques passionnées, Chris Dercon, aujourd’hui directeur de la Tate Modern de Londres.
Les expositions, dont la dernière du vivant de Hergé en une présentation collective de l’école belge de bande dessinée, des événements en liaison avec l’opéra sous la houlette amicale de Gérard Mortier et Philippe Boesmans et Pierre Mertens puis, en collaboration avec le Palais des Beaux-Arts, l’exposition et l’édition d’oeuvres graphiques avec des artistes tels Jean Tinguely, Valerio Adami, Pat Andrea et Roland Topor, au tournoi de tennis de la Communauté Européenne au Palais des Sports à Anvers, l’ECC.
Me voilà entré de plain-pied dans le monde de l’événementiel.
Dans la foulée, le Comité Supérieur du Diamant, à Anvers, par le biais des organisateurs du tournoi de tennis, me commande, en 1986, la fameuse Diamonds Cup, sculpture d’or et de plus de cent cinquante carats de diamants ; cette oeuvre est aujourd’hui exposée en permanence au Musée du diamant, à Anvers, quand elle ne fait le tour du monde. Elle a été exposée à l’Exposition Universelle de Shanghai, dans le Pavillon Belge, où elle a été admirée par pas moins de sept millions de visiteurs ! Elle est reprise dans les symboles des pays représentés, dit un article : “ma” raquette belge se retrouve ainsi à côté de la Petite Sirène de Copenhague et les Cézanne et Manet exposés par la France.
Au moment de sa création, j’ai été fasciné par les conditions d’énonciation si particulières de cette oeuvre que j’ai qualifiée de “médiatique” : cette sculpture vue frontalement, en trois dimensions, était majoritairement découverte, par le public, en deux dimensions, via les médias, papiers et images télé (cinquante-deux chaînes de télévision répercutaient le tournoi, dans le monde entier). Sculpture de lumière, donc, en les magnifiques matériaux d’éclat que sont l’or, le platine et les 1 617 brillants purs.
H.S. L’expérience acquise dans le monde de la Haute Joaillerie, vous la prolongez , en 1987, avec la création des Diamond Awards, trophées remis à ce grand Festival de musique, diffusé internationalement, avec des musiciens tels Roy Orbison, Brian Ferry ou Barry White. Puis, en 1988, débute l’expérience vénitienne…
V. Avec la création de sculptures en verre, à Murano, avec Egidio Costantini, qui avait conduit les plus grands noms du vingtième siècle à la réalisation d’oeuvres dans cette matière. Je citerai simplement Picasso, Chagall, Calder, Fontana ! Un très beau livre relate cette aventure, ainsi qu’un film, qui ont accompagné une exposition sur la Grand-Place de Bruxelles, exposition qui a été découverte par plus de trente mille visiteurs.
L’art du verre, le mystère de ces fours au petit matin dans les lagunes… un beau souvenir qui trouve son prolongement aujourd’hui encore. C’est en effet à cette occasion que j’ai eu la chance de rencontrer Monsieur Cesare Rancilio puis, peu après, sa soeur, Madame Florence Rancilio. Famille avec qui, aujourd’hui encore, je prolonge un merveilleux compagnonnage artistique.
H.S. Votre sculpture devient monumentale. Vous aviez déjà abordé cet aspect par la création des Totem de l’ECC et du Diamond Awards, sculptures où vous mettiez en scène les empreintes de mains des plus grandes stars, de Tina Turner à Little Richard, de Roy Orbison à Luciano Pavarotti, de John Mc Enroe à Pete Sampras.
V. Dans le contexte de la ville d’Anvers, Antwerpen, “hand werpen”, “la main jetée”, nous avions imaginé un Jardin des Stars, où chaque événement était souligné par une sculpture. Cela m’a permis de rencontrer nombre de grands artistes en backstage…
Helena Stork : Né à Anvers, Belgique, en 1955, vous êtes également Suisse, par votre mère. Vous avez travaillé, comme responsable culturel, de longues années à Paris, après Bruxelles et Anvers, et, aussi à Milan. Vous oeuvrez actuellement dans le Sud de la France. Ce cheminement international a-t-il influencé votre peinture ?
Varozza : Jérôme Savary m’a déclaré un jour: « tu as un accent, on ne sait pas d’où il vient »… Cela étant, j’ai toujours pensé que, meilleure est la compréhension du monde, plus grand est l’art. Il faut savoir composer ce doux équilibre entre une vie impliquée dans la vie et la solitude de l’atelier, une autre façon d’être vivant. Multiplier les expériences permet de collecter ces sensations, au sens cézannien, qui, vous l’espérez toujours, vous mènent à des peintures fondamentales. Bref, vivre vite avec, parfois, le risque réel de se brûler les ailes. Heureusement, un jour, l’expérience est là.
H.S. Vous me disiez avoir hésité entre la peinture et la philosophie, deux champs de savoir où vous vous sentiez particulièrement à l’aise, rejoignant par là votre éternelle volonté de comprendre l’humain.
V. J’ai tranché cette question, à mes vingt ans, d’une curieuse manière : j’ai regardé la représentation de visages de vieux philosophes et peintres… et en ai conclu que je préférerais ressembler à un vieux peintre ! Aujourd’hui, je vis la peinture comme objet philosophique.
H.S. Je vous sais d’une famille à la forte tradition artistique.
V. Mon grand-père, Herman Deckers développait une peinture classique fortement métaphysique, voire mystique. Quoique porteur de nombreuses fonctions et titres (banquier, mais aussi philosophe spécialiste de Kierkegaard, historien d’art et juge), il a demandé que, sur sa nécrologie, soit indiqué uniquement ce qui, pour lui, était un titre majeur : Herman Deckers. Peintre.
H.S. Quelle était votre relation avec lui ?
V. Enfant, je me rendais dans son hôtel particulier, à Anvers, sur le Meir. La maison était son atelier. Parfois, je m’asseyais sur ses genoux et, ensemble, nous peignions un tableau, lui guidant ma main. Peu de temps avant sa mort, lui qui avait onze enfants et une multitude de petits-enfants, il m’a écrit une lettre bouleversante où il m’indiquait, que dans sa descendance, j’étais celui qui avait le feu sacré pour l’art.
H.S. Vous n’avez pas encore vingt ans et vous publiez des dessins de presse.
V. Cela a été une expérience très intéressante, pour un artiste en devenir, de voir ses dessins publiés et dès lors confrontés à un public. L’expérience de la mécanique du dessin de presse, à savoir la réunion parfois incongrue, de deux événements de l’actualité, m’a aussi beaucoup passionné.
H.S. Passionné de bande dessinée, fou de peinture, vous avez étudié dans une des plus grandes écoles d’art à Bruxelles, Saint-Luc.
V. J’avais lu un livre quiindiquait que c’était là que se donnaient les meilleurs cours de BD. Je voulais allier la bande dessinée et la peinture. Très rapidement, j’ai découvert ma réalité pour me consacrer à la peinture. Picturalité devrais-je plutôt dire car, à l’époque, j’ai surtout réalisé des performances, des vidéos, des installations… mais pas de peinture. En ce temps-là, peindre ou ne pas peindre, relevait presque d’un choix religieux, comme être catholique ou protestant !
En novembre 1976, j’ai réalisé une performance avec un cerveau humain baignant dans le formol, oeuvre titrée “les textes suivront…”. Certains de Saint-Luc s’en souviennent encore… J’étais alors dans l’atelier de Pierre Carlier, professeur et ami, qui avait inventé une méthode bien à lui pour révéler le « fonctionnement », comme on disait à l’époque, d’une oeuvre d’art.
H.S. En 1986, vous avez créé ce que vous surnommiez votre “veau” d’or, en créant la Diamonds Cup, trophée composé de six kilos d’or fin et de plus de cent cinquante carats de diamants.
V. Tout petit, je me demandais toujours à quoi le veau d’or pouvait ressembler et j’y ai appliqué ma réponse.
Cela étant, je n’avais pas la maestria financière d’un Damien Hirst qui, abordant cela, aura appliqué sa sentence : “Il y a la vie et l’art, le marché et l’argent”.
H.S. Revenons à vos performances, films, vidéos et installations.
V. Ces actions artistiques m’ont mené à un concept qui a été fondamental pour moi, “le rapport de picturalités”. Par là, je désignais des oeuvres qui existaient à la fois seules et en rapport avec les autres, en une grande mise en scène.
La virtuosité que cela requerrait, tant du côté de l’artiste que du “regardeur” était qu’il fallait tirer les significations de chacune des oeuvres et, ensuite, les relier entre elles, pour créer un nouveau réseau de significations. Ce qui aujourd’hui, notamment à l’heure de l’Internet, semblerelativement évident était, croyez-moi, extrêmement difficile à percevoir pour le public d’alors.
H.S. Six mois après avoir obtenu votre diplôme couronné d’une rare Grande Distinction, vous réalisez une exposition personnelle au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. A seulement vingt-quatre ans!
V. J’ai pu y développer un nouveau rapport de picturalités, sur mes recherches de l’époque, autour de l’hypnose, du son (la bande-son était l’enregistrement du grésillement des vieux néons du Palais qui, amplifiés, se transformaient en une modulation hypnotique), de l’intervention sur le lieu (peinture et installation sur les colonnes) et l’histoire du Tableau (sa gloire et sa richesse, cfr. p. 60 ).
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